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Entretien de l'ambition avec Patrick Gérard

Entretien d’ambition avec Patrick Gérard, directeur de l’ENA

Que pensez-vous pouvoir apporter à l’ENA par votre parcours ?


Patrick Gérard obtient une licence en droit en 1977, est diplômé de Sciences Po (section service public) et d’Assas (maîtrise en droit public) en 1978. Il poursuit par une carrière universitaire (DEA en finances publiques et fiscalité en 1979, en droit public interne en 1980, doctorat en 1986, agrégation de droit public en 1992). Il a notamment enseigné au Cnam et à Sciences Po (2012-2017). M Gérard devient recteur de l’académie d’Orléans-Tours en 1994, à l’âge de 36 ans. Il est ensuite directeur du Cnous, de 1996 à 1999. Patrick Gérard poursuit sa carrière administrative en tant que DirCab de Gilles de Robien (Éducation nationale), de 2005 à 2006, et de Rachida Dati (garde des Sceaux), de 2007 à 2008. Il a entre temps été nommé conseiller d’État en 09/2006. Il dirige l’académie de Paris de 2008 à 2012. Patrick Gérard est finalement nommé directeur de l’ENA le 09/08/2017 pour remplacer Nathalie Loiseau (nommée Ministre chargée des affaires européennes auprès de Jean-Yves Le Drian). Si Patrick Gérard n’a pas fait l’ENA, il n’en est pas moins haut-fonctionnaire, ayant consacré toute sa carrière à l’administration et à l’enseignement. La diversité de son parcours lui permet de poser un regard neuf et décomplexé sur l’institution, qu’il a à coeur de considérer avec ouverture d’esprit.


Pourquoi vouloir transformer l’ENA en grand établissement ?


M Gérard accorde peu d’importance à ce statut qui n’est selon lui qu’une affaire technique. La décision n’a pas encore été prise, et ne serait qu’un moyen permettant de réformer l’ENA plus efficacement le cas échéant. Il s’agirait pour l’école d’être en capacité de délivrer le grade de docteur aux étudiants qui le souhaiteront afin qu’ils puissent accéder aux fonctions dirigeantes des grandes institutions internationales plus facilement. En effet, cette qualification est généralement exigée à l’étranger. Le statut de grand établissement permet en outre une plus large autonomie et serait donc un vecteur d’agilité et d’internationalisation pour l’ENA.


Comment l’ENA s’inscrit dans la formation aux nouvelles formes de management et de conduite de projet ?


l’ENA est avant tout une école d’application. Les élèves ont le statut de fonctionnaire-stagiaire. Pour preuve, la moitié de la scolarité s’effectue hors des murs de l’école, à l’occasion de nombreux stages dans les administrations. La formation délivrée par l’ENA est essentiellement technique et prend en compte les innovations apportées par le New Public Management. L’école souhaite désormais inculquer un esprit d’innovation aux administrateurs qu’elle forme, en plus des capacités d’exécution classiques. Parmi les évolutions récentes du cursus à l’ENA, l’on compte par exemple des simulations de négociations ou de gestion de crise et la conduite de projets de mise en oeuvre de systèmes d’information en collaboration avec des élèves ingénieurs (EPITECH). Les cours sont depuis longtemps professés par des praticiens qui transmettent leur expérience à partir de l’étude de cas pratiques. La mise en place de l’épreuve collective d’interaction au concours externe en 2016 témoigne de la volonté de l’école de favoriser les compétences sociales et non plus seulement académiques. Pourquoi n’y a-t-il aucun stage obligatoire au sein des institutions européennes durant la scolarité ? La moitié des étudiants choisissent d’effectuer leur stage à l’étranger à Bruxelles. Selon M Gérard, il n’est pas pertinent de rendre cette étape obligatoire car cela nuirait à la diversité des expériences durant la scolarité à l’ENA. Les étudiants s’orientent naturellement vers ce genre de stages.


Quel est l’objectif du quatrième concours que vous ouvrez cette année aux doctorants ?


L’idée à l’origine du quatrième concours est de permettre aux élèves de côtoyer des profils scientifiques qui ne se seraient pas orientés spontanément vers l’ENA à cause de l’investissement en temps nécessaire pour passer le concours externe. Le quatrième concours sera réservé à des doctorants en sciences dures et en sciences sociales. Patrick Gérard parle de quatre places par an disponibles pour cette nouvelle 24/09/2018 voie d’entrée. Il ne sait pas encore si le partage entre sciences dures et sciences sociales se fera d’une année sur l’autre ou à part égale chaque année. M Gérard est préoccupé par le manque de connaissances techniques des énarques dans les domaines cités. Il considère qu’il est important que les cadres administratifs soient en mesure de comprendre les tenants techniques des projets qu’ils seront amenés à diriger. Il ne s’agit pas de faire concurrence aux grands corps techniques, mais de gagner en hauteur de vue afin de prendre des décisions plus éclairées. M Gérard relate par exemple son passage par le ministère de l’Éducation nationale où il a supervisé l’implémentation du système APB. Il déplore qu’il n’ait pas pu comprendre à l’époque les grands principes de l’algorithme.


Comment diversifier le profil social des énarques ?


Patrick Gérard se dit très satisfait de la préparation intégrée située dans les locaux parisiens de l’ENA. Elle est réservée aux étudiants méritants issus de milieux modestes, qui reçoivent une aide matérielle et financière importante de la part de l’école (bourses, prêts de livres et d’ordinateurs portables). Il pense que le succès de la CP’ENA vient en partie de l’enseignement par les pairs qui y est délivré. Les anciens élèves de la CP’ENA sont très souvent volontaires pour venir donner des cours aux générations suivantes. L’ouverture d’une deuxième classe préparatoire localisée à Strasbourg est en projet. Si les préparationnaires admis à l’ENA sont une minorité (ce qui est normal au vu de la difficulté du concours externe), la quasitotalité d’entre-eux passe un concours A+ par la suite (BDF, Assemblée, Sénat, EHESP, etc.). L’autre facteur de diversité à l’ENA est le concours interne, qui est en moyenne mieux réussi par les femmes et moins sensible à l’origine sociale des impétrants. De nombreuses campagnes d’information sont menées dans les établissements d’enseignement supérieur afin de lutter contre l’auto-censure. Patrick Gérard se félicite du fait que la promotion 2018-2019 ne compte aucun fils d’énarque et une proportion stable de femmes, d’environ 35%. L’égalité des chances et la diversité sont des sujets qui lui ont toujours été chers. Il a porté cette cause en tant que recteur de l’académie de Paris, permettant aux collégiens méritants des établissements défavorisés de s’affranchir de la carte scolaire et d’accéder aux lycées les plus prestigieux de la capitale. Selon une étude de la Paris School of Economics, la mixité sociale s’est accrue de plus d’un tiers à l’issue de son exercice de fonction.


Ne faudrait-il pas démocratiser davantage les campagnes d’information ?


Patrick Gérard n’a pas vraiment d’idée sur la question. Il trouve que les campagnes d’information sont assez complètes et efficaces si l’on tient compte de la contrainte budgétaire (la dotation étatique ne couvre que 75% du budget annuel). Un élargissement à destination du grand public rendrait ces campagnes moins ciblées et donc moins efficaces. Faire publicité dans le métro n’est pas à l’ordre du jour.


La réforme que vous conduisez est-elle un moyen de lutter contre la déconnexion des élites ?


Le Directeur s’étonne que la critique classique de la « déconnexion » des élites soit bien souvent portée exclusivement sur l’ENA. Il récuse le terme monolithique d’ « élites », employé sans qualificatif. Il y a une pluralités d’élites, et l’ENA ne forme que les élites administratives du pays. Il déclare qu’il faut des élites. Les incriminations portées par la vox populi et relayées par les journalistes ne l’intéressent guère. Patrick Gérard s’amuse de ce que des journalistes l’ont appelé suite à la démission de Nicolas Hulot, lui demandant d’expliquer la responsabilité des énarques dans cet échec. L’ENA catalyse injustement les discours démagogiques anti-élites. De plus, l’ENA étant une école d’application, la formation intellectuelle des hauts fonctionnaires est souvent effectuée à Sciences Po ou dans d’autres établissements d’enseignement supérieur. M Gérard précise en outre que les fonctionnaires-stagiaires à l’ENA passent deux semaines au service direct des usagers, derrière le guichet, lors de leur stage en préfecture. Il juge important que les futurs hauts-fonctionnaires soient conscients qu’ils ne travaillent pas pour une entité abstraite mais bien pour les contribuables. Il trouve que la mobilité territoriale imposée aux fonctionnaires des grands corps est une bonne mesure. Il s’agit de les faire sortir de leur cadre de travail habituel car l’exercice des fonctions de contrôle et d’inspection favorise une perception très abstraite de ce que vivent les contribuables quotidiennement


Propos recueillis par Arsène Bazin

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